SOLITUDE
FORCEE
Robinson est un jeune homme
passionné par les voyages et qui rêve de parcourir le monde. Au grand déplaisir
de son père, qui voulait lui voir embrasser une carrière d'avocat, il va
s'embarquer à bord d'un vaisseau, à l'insu de ses parents. Au cours d'une
violente tempête, le bateau va s'échouer sur le sable d'une terre inconnue.
L'équipage, installé dans un canot, va être ensuite englouti par une énorme
vague. Robinson, bon nageur réussit à remonter à la surface et à mettre pied à
terre. Il va alors découvrir cette île mystérieuse et s'y installer à
contrecœur.
Je devais
considérer plusieurs choses clans le choix de ce site : 1. la salubrité, et
l'eau douce dont je parlais tout à l'heure ; 2. l'abri contre. la chaleur du
soleil ; 3. la protection contre toutes créatures rapaces, hommes ou bêtes ; 4.
la vue de la mer, afin que si Dieu envoyait quelque bâtiment dans ces parages,
je pusse en profiter pour ma délivrance ; car je ne voulais point encore en
bannir l'espoir de mon cœur.
En cherchant un lieu qui réunît tous ces avantages, je
trouvai une petite plaine située au pied d'une colline dont le flanc, regardant
cette esplanade, s'élevait à pic comme la façade d'une maison, de sorte que
rien ne pouvait venir à moi de haut en bas. Sur le devant de ce rocher, il y
avait un enfoncement qui ressemblait à l'entrée ou à la porte d'une cave ; mais
il n'existait réellement aucune caverne ni aucun chemin souterrain.
Ce fut sur cette pelouse, juste devant cette cavité, que je
résolus de m'établir. La plaine n'avait pas plus de cent verges de largeur sur
une longueur double, et formait devant ma porte un boulingrin qui s'en allait
mourir sur la plage en pente douce et irrégulière. Cette situation était au
nord-nord-ouest de la colline, de manière que chaque jour j'étais à l'abri de
la chaleur jusqu'à ce que le soleil déclinât à l'ouest quart sud, ou environ ;
mais, alors, dans ces climats, il n'est pas éloigné de son coucher.
Avant de dresser ma tente, je traçai devant le creux du
rocher un demi-cercle dont le rayon avait environ dix verges à partir du roc,
et le diamètre vingt verges depuis un bout jusqu'à l'autre.
Je plantai dans ce demi-cercle deux rangées de gros pieux
que j'enfonçai en terre jusqu'à ce qu'ils fussent solides comme des pilotis.
Leur gros bout, taillé en pointe, s'élevait hors de terre à la hauteur de cinq
pieds et demi ; entre les deux rangs il n'y avait pas plus de dix pouces
d'intervalle.
Je pris ensuite les morceaux de câbles que j'avais coupés à
bord du vaisseau, et Je les posai les uns sur les autres, dans l'entre-deux de
la double palissade, jusqu'à son sommet. Puis, en dedans du demi-cercle,
j'ajoutai d'autres pieux d'environ deux pieds et demi, s'appuyant contre les
premiers et leur servant de contrefiches.
Cet ouvrage était si fort que ni homme ni bête n'aurait pu
le forcer ni le franchir. Il me coûta beaucoup de temps et de travail, surtout
pour couper les pieux dans les bois, les porter à pied d’œuvre et les enfoncer
en terre.
Pour entrer dans la place je fis, non pas une porte, mais
une petite échelle avec laquelle je passais par-dessus ce rempart. Quand
j'étais en dedans, je l'enlevais et la tirais à moi. Je me croyais ainsi
parfaitement défendu et fortifié contre le monde entier, et je dormais donc en
toute sécurité pendant la nuit, ce qu'autrement je n'aurais pu faire. Pourtant,
comme je le reconnus dans la suite, il n'était nullement besoin de toutes ces
précautions contre des ennemis que je m'étais imaginé avoir à. redouter.
Dans ce retranchement ou cette forteresse, je transportai
avec beaucoup de peine toutes mes richesses, tous mes vivres, toutes mes
munitions et provisions, dont plus haut vous avez eu le détail, et je me
dressai une vaste tente que je fis double, pour me garantir des pluies qui sont
excessives en cette région pendant certain temps l'année ; c'est-à-dire que
j'établis d'abord une tente de médiocre grandeur ; ensuite une plus spacieuse
par-dessus, recouverte d'une grande toile goudronnée que j'avais mise en
réserve avec les voiles.
Dès lors je cessai pour un temps de coucher dans le lit que
j'avais apporté à terre, préférant un fort bon hamac qui avait appartenu au
capitaine de notre vaisseau.
Ayant apporté dans cette tente toutes mes provisions et tout
ce qui pouvait se gâter à l'humidité, et ayant ainsi renfermé tous mes biens,
je condamnai le passage que, jusqu'alors, j'avais laissé ouvert, et je passai
et repassai avec ma petite échelle, comme je l'ai dit.
Cela fait, je commençai à creuser dans le roc, et
transportant à travers ma tente la terre et les pierres que j'en tirais, j'en
formai une sorte de terrasse qui éleva le sol d'environ un pied et demi en
dedans de la palissade. Ainsi, justement derrière ma tente, je me fis une
grotte qui me servait comme cellier pour ma maison.
Il m'en coûta beaucoup de travail et beaucoup de temps avant
que je pusse porter à leur perfection ces différents ouvrages ; c'est ce qui
m'oblige à reprendre quelques faits qui fixèrent une partie de mon attention
durant ce temps. Un jour, lorsque ma tente et ma grotte n'existaient encore
qu'en projet, il arriva qu'un nuage sombre et épais fondit en pluie d'orage, et
que soudain un éclair en jaillit, suivi selon son effet naturel, d'un grand
coup de tonnerre. La foudre m'épouvanta moins que cette pensée, qui traversa
mon esprit avec la rapidité même de l'éclair : O ma poudre !... Le coeur me
manqua quand je songeai que toute ma poudre pouvait sauter d'un seul coup ; ma
poudre, mon unique moyen de pourvoir à ma défense et à ma nourriture. Il s'en
fallait de beaucoup que je fusse aussi inquiet sur mon propre danger, et
cependant si la poudre eût pris feu, je n'aurais pas eu le temps de reconnaître
d'où venait le coup qui me frappait.
Daniel DEFOE,
Robinson Crusoé, Presse pocket, 1988, pages 59-60-61.
Les rêveries du promeneur solitaire
Me voici donc seul sur la terre, n'ayant plus de frère, de
prochain, d'ami, de société que moi-même Le plus sociable et le plus aimant des
humains en a été proscrit. Par un accord unanime ils ont cherché dans les
raffinements de leur haine quel tourment pouvait être le plus cruel à mon âme
sensible, et ils ont brisé violemment tous les liens qui m'attachaient à eux.
J'aurais aimé les hommes en dépit d'eux-mêmes. Ils n'ont pu qu'en cessant de
l'être se dérober à mon affection. Les voilà donc étrangers, inconnus, nuls
enfin pour moi puisqu'ils l'ont voulu. Mais moi, détaché d'eux et de tout, que
suis-je moi-même? Voilà ce qui me reste à chercher. Malheureusement cette
recherche doit être précédée d'un coup d'oeil sur ma position. C'est une idée
par laquelle il faut nécessairement que je passe pour arriver d'eux à moi.
Depuis quinze ans et plus que je suis dans cette étrange position, elle me
paraît encore un rêve. Je m'imagine toujours qu'une indigestion me tourmente,
que je dors d'un mauvais sommeil et que je vais me réveiller bien soulagé de ma
peine en me retrouvant avec mes amis. Oui, sans doute, il faut que j'aie fait
sans que je m'en aperçusse un saut de la veille au sommeil, ou plutôt de la vie
à la mort. Tiré je ne sais comment de l'ordre des choses, je me suis vu
précipité dans un chaos incompréhensible où je n'aperçois rien du tout; et plus
je pense à ma situation présente et moins je puis comprendre où je suis.
Les rêveries du promeneur solitaire,
Jean-Jacques ROUSSEAU
Les filles de tétouan.
Les filles de
Tétouan ont la peau blanche et douce. Les yeux noirs. Le regard discret. Le
geste mesuré. La parole rare.
Vivre à Tétouan, c'est accepter une complicité : complicité
avec le calme d'une mer voisine ; respect de ce qui dure et doit durer;
complicité avec les illusions de l'écrit ; admettre la retenue l'économie dans
la parole et dans l'acte.
La vie traverse les habitants de cette ville avec la douceur et le murmure d'un
ruisseau. L'événement, c'est le détour. Les corps blancs, les corps frêles
traversent l'événement à la manière d'une nappe de fumée qui passe. Un petit
nuage bleu reste accroché aux arbres. C'est tout. Le vent soufflera. Il
emportera le petit nuage bleu. Le bruit se décompose au seuil de la ville. Il
est annulé. Le faste et le luxe sont refoulés vers d'autres lieux. De même, on
a décrété que toute violence est étrangère à la topographie de la ville. Les
rues sont dessinées de façon à déjouer, ou tout au moins apprivoiser, les
signes de la violence. Les murs, badigeonnés avec de la chaux, retiennent dans
leur luminosité un peu du bleu du ciel. Ce bleu s'insinue dans la blancheur,
comme le murmure des vagues de Martil pénètre doucement les rêves des enfants
qui attendent l'été. On le dit partout : les montagnes détiennent les fibres du
Destin ; ce qui arrive est écrit sur leurs flancs nus. Ceux qui les escaladent
ne savent pas lire entre les pierres. La passion est rare, comme la folie.
Personne ne les nomme. Les corps s'échappent, glissent entre la violence qu'on
refoule et le désir caché. Le vent soufflera, la nuit de préférence. La ville
épurée. Les rues repeintes à la chaux. Les pierres des montagnes sont à
l'écoute de la quiétude. Les nuages
abandonnent leur bleu et s'en vont tomber plus loin. A la mer.
On parle d'une colombe blanche.
On dessine la colombe qui frôle le petit nuage bleu. C'est
la lumière. C'est le signe transparent de la volupté murmurée. Quelques
feuilles échappées au ciel cherchent un corps, une tombe. Les mains nues. La
voix nue. C'est la migration de l'eau douce. Sur corps peints avec de la terre.
Lorsque se tait la rumeur, les femmes sortent. La mer
retenue dans le regard. Le pas dessine la nudité des hanches ; l'astre sans
prise coule vers le lit sec de la rivière. C'est la chute de l'abeille dans un
corps de miel : l'erreur. Sur la pointe des pieds, les femmes traversent les
grandes allées de la solitude. L’œil des hommes assis au café caresse leurs
fesses et les juges. Le soleil nous renvoie ces visages purs dans des rêves
silencieux. On dit que ces corps ont été taillés dans l'argile et le verbe. Ils
retourneront à l'argile. Pour le moment, ils chantent et cernent la blancheur
de l'absence. Ils couvent l'incertitude de la promesse et préfèrent la douceur
de la caresse. C'est vrai, la caresse est fugue. L'homme s'absente. Les
affaires courantes.
Le corps aride. Désoeuvré.
L'amour. Apprendre à aimer sa solitude.
Savoir se retirer dans un roc qui préserve la tendresse. Déjouer la dépendance
pour que la possession devienne écran de transparence. Aimer, c'est célébrer en
permanence la rencontre de deux solitudes, fêter leur révélation quotidienne,
leur éclatement possible dans la mort, la poésie. Se savoir abandonné des
étoiles et des vagues ; vivre l'amour, l'amitié dans la tendresse passionnelle.
Les femmes de Tétouan ne connaissent hélas que la dépossession. Leur être
féminin se perd dans l'image que l'homme a bien voulu fabriquer pour elles.
Arrachées à leur différence, elles se consument dans l'oubli. Voilà pourquoi
les femmes de Tétouan se retirent, sans faire de bruit, sans briser quoi que ce
soit, dans la somme de leurs solitudes. Les époux deviennent matière qui
s'effrite dans les cafés ou clubs pour hommes (casinos espagnols) où, pour se
soûler sans être vu, on descend dans la cave. Ils parlent jusqu'à perdre leur
salive ; tombent en mottes de sable blanc à côté de leur tabouret. Le soir, le
garçon de café les ramasse dans de petits couffins et s'en va les déposer au
seuil de leur maison. Les femmes dorment. S'absentent pour rêver.
Le
premier amour est toujours le dernier, Tahar BEN JELLOUN
Peu de temps après, la mère emménagea dans la maison du haut,
celle de son beau-père, où elle aborda un univers totalement inconnu. Au bout
de quelques jours, elle découvrit avec ahurissement qu'au cours de sa jeunesse
elle n'avait été, en fait, qu'une oie gâtée. Le matin qui suivit la nuit de
noces, elle constata que le lit était vide. Il est allé au marché, se dit-elle.
Et sa belle-mère lui cria qu'elle était maintenant dans la maison de son mari
et qu'elle devait mettre la main à la pâte. « Que dois-je donc faire ? »
demanda la mère, qui se glissa hors du lit, revêtit ses plus beaux habits et
rejoignit sa belle-mère pour recevoir ses instructions. Faire des mtsimeni,
pétrir la pâte, aller chercher de l'eau, et même, de temps en temps, garder les
chèvres, voilà les tâches qui lui incombaient, et, si possible, bien d'autres
encore.
Cette révélation péremptoire de la dure réalité - ses sœurs
défuntes l'avaient pourtant généreusement prévenue et il lui semblait parfois
voir flotter leurs paroles au-dessus de la maison - irrita la mère au point
qu'un germe se forma en elle qui devait la délivrer du labeur et de la sueur.
La petite graine née de la seule force de sa volonté donnerait un enfant
susceptible de l'exempter de toutes ces tâches paysannes. Cela ne peut durer,
s'était-elle dit, et, au cours de cette chaude lune de miel, elle avait écarté
les jambes encore plus largement - elle avait assez vite compris le truc - afin
que son mari puisse déposer plus profondément en elle un peu plus de cette
semence, promesse de la venue rapide d'un enfant libérateur. Comme le veut Sidi
Rabi, avait-elle pensé, pragmatique. Le miracle s'accomplit donc assez vite :
huit mois plus tard exactement, naissait un enfant de quatre kilos, le petit
Lamarat (nom qu'on ne lui donna que plus tard).
L'enfant fut mis au monde, mais tous étaient trop occupés
d'eux-mêmes pour l'accueillir. Ce jour-là, le père était en Allemagne, le
grand-père battait le blé, la grand-mère était à la recherche d'autres
serviettes pour éponger le sang et la toute jeune mère était un peu déçue parce
que l'enfant était né prématurément, la privant d'un mois de cet état de
grossesse qui exigeait l'attention générale - Malheur à qui refuse quelque
chose à une femme enceinte, car des enfants malheureux naîtront d'elle.
Mais plus d'un chemin menait à l'oisiveté : elle décida de s'occuper, ou de
feindre de s'occuper, de l'enfant à tout moment, de le bercer sans cesse, de
lui donner le sein le plus souvent possible, au mépris de la douleur de ses
mamelons, et de faire tout et n'importe quoi avec le bambin pour échapper
à la confection des mtsimeni et à la corvée d'eau. Heureusement
pour la mère - et aussi un peu pour l'enfant -, elle n'eut pas à en arriver à
de telles extrémités, car, moins de six mois plus tard, un nouveau
tire-au-flanc (une fille, comme prévu également) dans le ventre et un petit
garçon dans les bras, elle partait pour le Grand Nord de L'Europe où elle
atterrit avec un calme relatif dans une maison au sol de bois munie d'une
antenne sur le toit. Et elle pensa : enfin ! personne pour m'ordonner de faire
des mtsimeni, plus jamais de chèvres à garder ni de radotage à entendre.
« Ollanda », Pays de la graine de pavot - que la belle-mère appelait
obstinément l'Allemagne -, fut donc, d'une certaine manière, son salut.
Noces à la mer, Abdelkader BENALI
Gil
Blas de Santillane
Viens
avec nous et ne crains rien. Nous allons te mettre en sûreté. A ces mots, il me
fit monter en croupe sur son cheval et nous nous enfonçâmes dans la forêt.
Je ne savais ce que je devais penser de cette rencontre. Je
n'en augurais pourtant rien de sinistre : Si ces gens-ci, disais-je en
moi-même, étaient des voleurs, ils m'auraient volé et peut-être assassiné. Il
faut que ce soient de bons gentilshommes de ce pays-ci, qui, me voyant
effrayé, ont pitié de moi et m'emmènent chez eux par charité. Je ne fus
pas longtemps dans l'incertitude. Après quelques détours que nous fîmes dans un
grand silence, nous nous trouvâmes au pied d'une colline, où nous descendîmes
de cheval. C'est ici que nous demeurons, me dit un des cavaliers. J'avais beau
regarder de tous côtés, je n'apercevais ni maison, ni cabane, pas la moindre
apparence d'habitation. Cependant ces deux hommes levèrent une grande trappe de
bois, couverte de broussailles, qui cachait l'entrée d'une longue allée en
pente et souterraine, où les chevaux se jetèrent d'eux-mêmes, comme des animaux
qui y étaient accoutumés. Les cavaliers m'y firent entrer avec eux ; puis,
baissant la trappe avec des cordes qui y étaient attachées pour cet effet,
voilà le digne neveu de mon oncle Perez pris comme un rat dans une ratière.
Gil Blas
de Santillane, LESAGE
L'Étranger
«Qui aimes-tu le mieux, homme
énigmatique, dis? Ton père, ta mère, ta sœur ou ton frère?
– Je n'ai ni père, ni mère, ni sœur, ni frère.
– Tes amis?
– Vous vous servez là d'une parole dont le sens m'est restée
jusqu'à ce jour inconnu.
– Ta patrie?
– J'ignore sous quelle latitude elle est située.
– La beauté?
– Je l'aimerais volontiers, déesse et immortelle.
– L'or?
– Je le hais comme vous haïssez Dieu.
– Eh! qu'aimes-tu donc, extraordinaire étranger?
– J'aime les nuages. Les nuages qui passent... là-bas...
là-bas les merveilleux nuages! »
« Le
spleen de Paris, Petits Poèmes en Prose », Charles BAUDELAIRE.
Grenouille, le héros, après une
retraite en ermite durant sept ans, revient à la civilisation. Des paysans
étonnés de son apparence l'emmènent chez le maire du village.
Là, au grand étonnement des personnes présentes, il
exhiba un brevet de compagnon (1), ouvrit la bouche et, avec un débit un peu
rocailleux (c'étaient les premiers mots qu'il prononçait après une interruption
de sept ans) mais de façon tout fait intelligible, il raconta qu'au cours de
son tour de France, il avait été attaqué par des brigands, qui l'avaient emmené
avec eux et retenu prisonnier pendant sept ans dans une caverne. Pendant ce
temps, il n'avait pas vu la lumière du soleil, ni le moindre être humain; une
main invisible l'avait alimenté en faisant descendre des paniers dans le noir,
et pour finir il avait été délivré grâce à une échelle qu'on lui avait jetée,
mais il n'avait jamais su pourquoi et n'avait jamais pu voir ni ses ravisseurs
ni ses sauveurs.
(1) "Brevet de compagnon" : c'est un certificat
d'artisan.
Patrick SÜSKIND,
Le Parfum, traduit de l'allemand par Bernard L'ortholay, livre de
poche, 1986, page 171.
Les contemplations
Autrefois, quand septembre en larmes revenait,
Je partais, je quittais tout ce qui me connaît,
Je m'évadais ; Paris s'effaçait ; rien, personne !
J'allais, je n'étais plus qu'une ombre qui frissonne,
Je fuyais, seul, sans voir, sans penser, sans parler,
Sachant bien que j'irais où je devais aller ;
Hélas ! je n'aurais pu même dire : Je souffre !
Et, comme subissant l'attraction d'un gouffre,
Que le chemin fût beau, pluvieux, froid, mauvais,
J'ignorais, je marchais devant moi, j'arrivais.
O souvenirs ! ô forme horrible des collines !
Et, pendant que la mère et la sœur, orphelines,
Pleuraient dans la maison, je cherchais le lieu noir
Avec l'avidité morne du désespoir ;
Puis j'allais au champ triste à côté de l'église ;
Tête nue, à pas lents, les cheveux dans la bise,
L'œil aux cieux, j'approchais ; l'accablement soutient
Les arbres murmuraient : C'est le père qui vient !
Les ronces écartaient leurs branches desséchées ;
Je marchais à travers les humbles croix penchées,
Disant je ne sais quels doux et funèbres mots ;
Et je m'agenouillais au milieu des rameaux
Sur la pierre qu'on voit blanche dans la verdure.
Pourquoi donc dormais-tu d'une façon si dure,
Que tu n'entendais pas lorsque je t'appelais ?
A celle qui est restée en France (extrait),
Les contemplations, Victor Hugo.
Ce texte illustre la solitude volontaire, le
« besoin » d’isolement du narrateur. Il se rend apparemment dans un
cimetière pour se recueillir sur la tombe d’un défunt proche. Il apparente la
mort à un sommeil profond ; il ressent un sentiment de désespoir.
La solitude
Oh ! que j'aime la solitude !
|
Marc Antoine Gérard Sieur De
SAINT-AMANT