Références :
Contexte :
Patricia est une petite fille détenant un pouvoir
particulier sur les animaux. En effet, ceux-ci l’acceptent parmi eux et lui
font entièrement confiance. Cette enfant va vivre un amour fou avec un lion,
nommé King. Un proche, qui a découvert le lionceau seul, au creux d’un arbre, lui
en a fait cadeau. Patricia l’a soigné, nourri au biberon. Elle s’en est occupée
comme une mère, et l’a vu grandir auprès d’elle pour enfin devenir ce grand
lion majestueux. Le narrateur, un ami de Patricia, va faire la rencontre de
King.
« Fasciné et seulement
à demi conscient de mes gestes, je me penchai sur le mufle royal et, comme l’avait fait Patricia, j’effleurai du
bout des ongles le triangle marron foncé qui séparait les grands yeux d’or. Un
frisson léger courut dans la crinière de King. Ses pesantes babines frémirent,
s’étirèrent. La gueule s‘entrouvrit et les terribles crocs brillèrent
doucement.
_Regardez, regardez bien, dit Patricia, il vous sourit.
Comment ne l’aurais-je pas cru ? N’avais-je pas, du ravin,
entendu le rire de King ?
_J’ai choisi le meilleur moment pour vous faire rencontrer, dit
Patricia. Il a bien mangé, il est repu. (Elle tapota le ventre puissant.) C’est
l’heure la plus chaude. Il y a beaucoup d’ombre ici. Il est heureux.
Patricia se glissa entre les pattes de devant, mêla ses cheveux
en boule à la toison énorme et dit :
_Vous le voyez, ce n’était pas terrible du tout. Ni difficile.
_A condition d’être avec vous.
A peine avais-je achevé ces mots que tout changea en moi et
autour de moi. Je sortis de l’état de transe où m’avaient jeté une peur et une
joie poussées à l’extrême et où le miracle n’était que naturel. Et ce fut sous
une lumière et dans une perspective plus appropriées à ma condition ordinaire
que je perçu soudain le caractère fabuleux de ce qui m’environnait : la
savane, du monde isolé ; l’arbre des terres ingrates qui portait des
épines pour feuilles ; et, sous le parasol de ses longues branches, le
fauve royal, la bête de proie redoutable entre toutes en pleine liberté dans
son domaine, à qui je caressai le front. Et tout cela était réel, véritable,
contrôlé par les sens et la raison_ mais seulement grâce à Patricia. Grâce à la
petite fille en salopette grise qui faisait penser à un ver à soie lové contre
un poitrail de lion.
Comment lui expliquer ce qu’exigeaient de moi une tendresse et
une reconnaissance qui ne pouvaient ressembler à aucune autre ? Je ne
trouvai que le plus banal des moyens. Je dis :
_ Est-ce que je peux vous embrasser, Patricia ?
Peut-être la force de mon sentiment avait-elle imprégnée ma voix,
ou bien Patricia était peu habituée à cette sorte d’effusion, mais il lui vint
aux joues cette exquise couleur faite de hâle
et de rose qu’elles prenaient en rougissant de plaisir. La petite fille
écarta vivement la patte énorme qui la recouvrait et vint me tendre son visage.
Il sentait le savon de lavande, l’arôme de la brousse et l’odeur du fauve.
De ses grands yeux d’or, King suivait nos gestes avec une
attention soutenue. Quand il vit ma tête se rapprocher de celle de Patricia et ma
bouche effleurer sa figure, le mufle du grand lion eut de nouveau ce mouvement
que Patricia appelait un sourire. Et quand la petite fille eut repris place
entre ses pattes, King lui lécha les cheveux.
_ Lui, il m’embrasse souvent, dit Patricia en riant.
Ainsi, nous étions réunis tous les trois dans l’amitié de l’ombre
et de la terre. »
Ce roman met en lumière la relation magnifique qui va s’établir entre une petite fille et un lion. Kessel nous fait rêver et s’évader à l’aide d’un décor sauvage et naturel. Nous nous laissons attendrir par cette belle amitié, illustrée par l’harmonie entre le monde humain et le monde de la nature, ce qui est suggéré grâce aux expressions : ‘fasciné’, ‘tout changea en moi et autour de moi’, ‘miracle’, ‘naturel’, ‘le caractère fabuleux de ce qui m’entourait’, ‘tendresse’, ‘reconnaissance’, ‘réunis dans l’amitié de l’ombre et de la terre’. Kessel nous montre également un autre aspect des lions que celui que nous connaissions tous, c’est-à-dire celui sauvage où le lion est montré redoutable, puissant, et énormément dangereux. Ici, King incarne un lion rempli d’amour pour une enfant, et malgré sa force et sa puissance, il est extrêmement affectueux avec celle-ci. En outre, l’auteur insiste sur l’agressivité du fauve qui est refoulée, grâce à sa description : ‘ses pesantes babines’, ‘ la gueule s’entrouvrit’, ‘les terribles crocs’, ‘la bête de proie redoutable’, ‘la patte énorme’. Une morale pourrait être dégagée : tout animal peut être dompté à force de patience, de respect et d’amour.