EXTRAIT
DE COMPARAISON
GEORGE
DANDIN.-
Au travers de toutes vos grimaces, j'ai vu la vérité de ce que l'on m'a
dit, et le peu de respect que vous avez pour le nœud qui nous joint. Mon
Dieu laissez là votre révérence, ce n'est pas de ces sortes de respect
dont je vous parle, et vous n'avez que faire de vous moquer.
ANGÉLIQUE.-
Moi, me moquer! En aucune façon.
GEORGE
DANDIN.-
Je sais votre pensée, et connais... Encore? ah ne raillons pas davantage!
Je n'ignore pas qu'à cause de votre noblesse vous me tenez fort au-dessous
de vous, et le respect que je vous veux dire ne regarde point ma personne.
J'entends parler de celui que vous devez à des nœuds aussi vénérables
que le sont ceux du mariage. Il ne faut point lever les épaules, et je ne
dis point de sottises.
ANGÉLIQUE.-
Qui songe à lever les épaules?
GEORGE
DANDIN.-
Mon Dieu nous voyons clair. Je vous dis encore une fois que le mariage est
une chaîne à laquelle on doit porter toute sorte de respect, et que c'est
fort mal fait à vous d'en user comme vous faites. Oui oui mal fait à vous,
et vous n'avez que faire de hocher la tête, et de me faire la grimace.
ANGÉLIQUE.-
Moi! je ne sais ce que vous voulez dire.
GEORGE
DANDIN.-
Je le sais fort bien moi, et vos mépris me sont connus. Si je ne suis pas né
noble, au moins suis-je d'une race où il n'y a point de reproche, et la
famille des Dandins...
CLITANDRE,
derrière
Angélique, sans être aperçu de Dandin.-
Un moment d'entretien.
GEORGE
DANDIN.-
Eh?
ANGÉLIQUE.-
Quoi? je ne dis mot.
GEORGE
DANDIN.-
Le voilà qui vient rôder autour de vous.
ANGÉLIQUE.-
Hé bien est-ce ma faute? Que voulez-vous que j'y fasse?
GEORGE
DANDIN.-
Je veux que vous y fassiez ce que fait une femme qui ne veut plaire qu'à
son mari. Quoi qu'on en puisse dire, les galants n'obsèdent jamais que
quand on le veut bien, il y a un certain air doucereux qui les attire ainsi
que le miel fait les mouches, et les honnêtes femmes ont des manières qui
les savent chasser d'abord.
ANGÉLIQUE.-
Moi les chasser? et par quelle raison, je ne me scandalise point qu'on me
trouve bien faite, et cela me fait du plaisir.
George
Dandin,
MOLIERE ; Acte II, scène 2.