« Je vous envoie un bouquet… »

 

 

 

Je vous envoie un bouquet que ma main

Vient de trier de ces fleurs épanies[1] ;

Qui ne les eût à ce vêpre cueillies[2],
Chutes à terre elles fussent demain.

 

Cela vous soit un exemple certain

Que vos beautés, bien qu'elles soient fleuries,
En peu de temps cherront[3] toutes flétries,
Et, comme fleurs, périront tout soudain.

 

Le temps s'en va, le temps s'en va, ma dame ;
Las ! le temps, non, mais nous nous en allons,
Et tôt serons étendus sous la lame[4] ;

 

Et des amours desquelles nous parlons,
Quand serons morts, n'en sera plus nouvelle.
Pour c'[5]aimez-moi cependant qu'êtes belle.

 

Pierre de Ronsard, Pièces retranchées des Amours, XXXV, 1555

 

 

 



[1] épanouies

[2] si on ne les avait cueillies ce soir

[3] cherront : futur du verbe choir 

[4] pierre tombale

[5] pour cela