La tradition grecque situe les Enfers soit dans un monde souterrain, soit à l'extrémité de la terre. Cette double conception se retrouve chez Homère dans
l'Iliade et l'Odyssée : ainsi Andromaque au chant XXII pleure-t-elle Hector, désormais « chez Hadès dans les profondeurs cachées de la terre » (v. 482) après son duel avec Achille, et Ulysse se rend-il chez les Kimmériens en « longeant l'Océan » (v. 21). Plusieurs interprétations du texte de
l'Odyssée restent cependant possibles. D'après Victor Bérard, le pays des Kimmériens serait situé sur la côte italienne autour du lac Averne, niché dans un ancien volcan à un jour de navigation de l'île de Circé
(1)- Virgile adoptera d'ailleurs cette localisation dans l'Énéide. Le pays des Kimmériens pourrait cependant se trouver beaucoup plus au
nord : la mention de « la passe et [des] courants profonds de l'Océan » - faut-il entendre ici l'Océan qui, dans les premières cosmogonies grecques, entoure le cercle des terres ? - suggère que le bateau d'Ulysse franchit les colonnes d'Hercule, ainsi s'expliqueraient le brouillard et la nuit. On peut également situer les Enfers au
Nord en assimilant les Kimmériens aux Cimmériens, peuple historique de la Mer Noire. Enfin, rappelons que Jean Germain considère que les Enfers, comme l'ensemble du périple d'Ulysse, appartiennent au « monde de
l'imaginaire (2) », sans référence à la géographie de la Méditerranée.
Tous ces voyages, qu'ils soient situés dans l'Atlantique, en Méditerranée ou dans la Mer Noire, peuvent sembler prodigieux : n'oublions pas cependant qu'ils sont accomplis avec l'aide de Circé qui a elle-même indiqué sa destination à Ulysse.
Le sacrifice qu'offre Ulysse aux morts dès son débarquement, la
nékuia, donne son titre au chant XI, et indique comment l'antiquité se représente la mort. Le sang, qui constitue la principale offrande, est destiné à rendre quelque vigueur - c'est le principe de la vie - aux ombres que vient consulter Ulysse. Le lait, le miel et le vin doivent leur apporter quelque douceur
; ils représentent la vie car ils sont des aliments premiers et les fruits du travail des hommes. Enfin, la farine qu'Ulysse verse sur la fosse est purificatrice car elle est blanche.
Un peu plus loin, deux expressions du devin Tirésias décrivent l'état
d'esprit des morts : les ombres se désolent de la privation de la « clarté du soleil » et de l'absence de douceur, affirmant sans cesse à travers la métaphore du soleil leur regret de la vie terrestre.
(1) Victor BERARD, Les navigations d'Ulysse, A. Colin, 1927, rééd. 1971 (abondamment cité dans la plupart des éditions de l'Odyssée) ; voir aussi les très belles photographies de F. BOISSONNAS in Dans le sillage d'Ulysse, album odysséen, V. BERARD, Armand Colin, 1933.
(2) Jean GERMAIN, Genèse de l'Odyssée, PUF, 1954
Rémy DUTRIAUX, Françoise FERRAND, Lire les textes fondateurs, Itinéraires thématiques, Delagrave, CRDP Midi-Pyrénées, 2001, p. 71